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Le Projet Européen : quel avenir ?

Quel avenir ?

Tout abandonner : la solution ?

Face aux défis auxquels le Projet Européen est actuellement confronté, la dernière mode semble être d’abandonner (tout le projet ou bien certains morceaux seulement). Personnellement je préfère en général ajuster ou retravailler plutôt qu’abandonner, mais cela ne me semble pas nécessairement être une mauvaise solution, TANT que c’est fait de manière constructive : on ne se retrouve plus dans la vision ? Abandonnons-la et choisissons-en une nouvelle. Les méthodes ne mènent nulle part ? Laissons-les tomber, concentrons-nous sur la vision et choisissons-en de nouvelles, plus en rapport avec ce que l’on veut accomplir.

En bref il s’agit d’identifier l’origine du problème, de savoir par quoi l’on souhaiterait remplacer ce qui ne marche pas, et enfin d’être conscient de ce que l’on gagne ET perd en abandonnant l’existant pour autre chose.

Toutefois la tendance actuelle semble très nihiliste, née de la peur, d’un manque de compréhension, de la frustration, d’un manque de vision long-terme et ainsi de suite. Qu’est-ce qui me fait dire ça ? Le fait qu’il semble que la plupart des gens ne savent pas où se situent les problèmes, n’ont rien à proposer pour remplacer et n’ont aucune idée de ce qu’ils perdent vraiment en abandonnant.

Que veut-on abandonner exactement ? Est-ce que quelqu’un le sait ? Vu la confusion qui règne autour du sujet (comme expliqué précédemment), cela semble peu probable. Ainsi, par exemple, la solution face à une insatisfaction quant à la manière dont les choses sont organisées (pas assez démocratiques, pas suffisamment d’égalité entre les membres, etc.) devient de tout abandonner, y compris la vision ! Depuis quand abandonne-t-on un objectif simplement parce que les méthodes utilisées ne marchent pas ou ne sont pas parfaites ?
J’essaye ici de mettre en avant comment, à l’heure actuelle, « abandonner » en tant solution n’est pas une conclusion mûrement réfléchie pour une difficulté précise, mais plutôt un raccourci pour « se débarrasser de tout ce foutoir » (nihiliste). Et il en est souvent ainsi lorsque l’origine d’un problème n’est pas clairement identifiée.
Par quoi devrions-nous remplacer ce que l’on veut abandonner ? Actuellement je n’ai pas vraiment vu de suggestions concrètes… La vision est-elle le problème ? Que devrions-nous viser dans ce cas ? Les méthodes implémentées ne vont pas ? Comment devrions-nous faire à la place ? Pour le moment la tendance consiste principalement à revenir à ce qui était fait avant, ce qui une fois encore ne démontre pas une conclusion réfléchie mais une décision basée sur la peur et le besoin de retourner dans la zone de confort (nihiliste), et peu importe si celle-ci est catastrophique (et elle l’est, comme en témoignent deux guerres mondiales et des siècles de conflits). Et il en est ainsi lorsqu’il n’y a pas de suggestions pour remplacer ce qui doit disparaitre.
Parmi ceux qui souhaiteraient abandonner, combien regardent véritablement à la fois ce qui marche et ce qui ne marche pas ? Combien prennent leur décision tout en en mesurant les conséquences ? Bien peu s’il l’on se fie à l’information selon laquelle le 2ème terme le plus recherché sur Google au Royaume-Unis après leur décision de quitter l’UE était « qu’est-ce que l’UE ? »…
Tout à coup « abandonner » n’a plus l’air si attrayant lorsque l’on regarde ce qui est véritablement en jeu au lieu de se limiter à ce qui ne marche pas. Est-ce que vous laissez tomber votre conjoint quand les choses ne vont pas ? Certainement pas avant d’avoir examiné minutieusement tout ce que vous gagneriez ET perdriez…
Cela nous prouve que « abandonner » en tant que solution n’est pas une conclusion réfléchie basée sur une appréciation objective de la situation, mais plutôt un moyen d’exprimer sa frustration ou sa colère (nihiliste). Et il en est ainsi lorsque l’on ne regarde que ce qui ne va pas.

Toute cette histoire me rappelle d’ailleurs beaucoup les Français abandonnant la république en faveur de l’empire de Napoléon. À tous les historiens qui liront ceci, n’hésitez pas à me corriger si je me trompe, mais il me semble que les Français ont perdu de vue la vision derrière la république, ils étaient frustrés à cause de méthodes qui ne marchaient pas (au passage si la démocratie a eu droit à 200 ans pour s’améliorer, sans même compter la Grèce Antique, on peut probablement donner à l’UE 50 ans de plus pour trouver sa place et ses méthodes), ils ne voyaient que les mauvais côtés du projet et comment l’abandonner résoudrait tout (en oubliant ce qu’ils perdraient) et ils n’avaient aucune suggestion d’amélioration autre que « revenons en arrière » (roi/empereur).

Le résultat ? Plusieurs années de guerre et de conquêtes avant le retour de la république.

L’approche nihiliste décrite précédemment et qui consiste à abandonner les choses sans distinctions dès que les problèmes surviennent, sans suggestions de remplacement et sans savoir ce qui est en jeu, est née d’émotions négatives. Laisser de telles émotions guider nos décisions ne peut que mener à de plus gros problèmes, comme l’Histoire et même notre vie de tous les jours nous l’a appris à plusieurs reprises.

Une alternative ?

Si l’on part du principe qu’abandonner (du moins de la manière suggérée actuellement) ou rester où nous sommes ne sont pas des options pour toutes les raisons présentées jusque-là, quelle alternative reste-t-il ? La réponse est en vérité très simple : atteindre un nouveau seuil en matière de coopération.

Le Projet Européen semble être au point mort : beaucoup de choses ont été faites, notamment au début, mais on dirait que nous tournons maintenant autour du pot. De nouvelles lois sont créées sur des points de détail et font passer le projet du statut de grande entreprise pour l’Europe à celui de boulet administratif qui plombe d’autres systèmes administratifs (qui n’ont vraiment pas besoin de ça).

En bref, on dirait que les dirigeants de l’UE se créent du travail en ajoutant de nouvelles règles ici et là, mais sans jamais se pencher sur la véritable question : coopérer (ou non) à une tout autre échelle. Cela donne lieu à un système coincé entre deux chaises : il a été construit avec l’idée d’une coopération rapprochée mais, le projet n’ayant pas encore atteint ce niveau, il ne fonctionne pas.

Voici quelques exemples pour illustrer mes propos :

Le plus évident est sans doute la Zone Euro. Je ne suis pas un professionnel dans le domaine et j’aimerais beaucoup avoir l’avis de personnes plus compétentes, mais de ce que j’ai compris lors de mes études en Corée, il y a deux écoles de pensée : la première conseille de tout abandonner, la seconde d’unifier les systèmes financiers (impôts et taxes par exemple) pour qu’une union monétaire puisse fonctionner. Ainsi, lorsque l’on regarde le projet avec cette perspective, il devient évident que la zone Euro est loin d’être un échec : elle est juste incomplète.
Un autre exemple : la possibilité de vivre et travailler dans n’importe quel pays (concept à l’origine de l’Espace Schengen). En pratique, tant que tout le monde ne parlera pas au moins une langue commune, il sera difficile que cela fonctionne. Qu’attend-on alors pour instaurer une langue Européenne en plus des langues locales (celles des pays) ? Au-delà de la mobilité et de l’enrichissement culturel évidents (imaginez si tous les enfants étaient bilingues !), cela permettrait aussi de mener à bien l’idée du marché unique : une langue unique rendrait l’UE encore plus attractive à l’international et simplifierait l’import/export entre les différents pays membres.
Un dernier exemple à propos de l’immigration : la solution classique consiste à réinstaurer les frontières nationales et abandonner l’Espace Schengen… Ou bien l’on met en place des frontières pour l’UE et coopère dans leur gestion.

Toutefois passer à la vitesse supérieure en matière de coopération ne pourra se faire que s’il s’agit d’une vision partagée par toute l’UE, amenant à une volonté des citoyens de faire de cette vision une réalité. Car c’est là que tout commence dans une démocratie. Ensuite, les chefs d’état suivront le mouvement.

À l’heure actuelle cependant, la plupart de ces dirigeants « protègent les intérêts nationaux » au lieu de viser plus haut, et le projet souffre d’un manque flagrant de soutien de la part des citoyens. En gros, le Projet Européen a été jusque-là construit par quelques visionnaires dans leur coin : cela ne peut (ne devrait pas ?) durer dans une démocratie et ne permettra certainement pas de passer à l’étape suivante. D’ailleurs parvenir si loin avec si peu de communication et de soutien populaire est assez impressionnant.

Prenons l’exemple de la Constitution Européenne à laquelle les Français avaient voté « non » lors d’un référendum (principalement pour exprimer leur colère contre le gouvernement. Il semble par ailleurs que l’UE soit souvent un moyen pour les gens d’exprimer leur frustration…). Quelque temps plus tard, la même constitution a été approuvée par un vote du gouvernement en interne. Pas vraiment démocratique, n’est-ce pas ?

Bien que je pense que la constitution était nécessaire pour avancer, cet exemple est symptomatique de comment l’UE a été construite (tout du moins durant ces dernières années) : quelques personnes prennent les décisions car elles voient le potentiel et le reste ne fait que suivre. On ne pourra jamais passer à l’étape suivante ainsi.

Alors, comment susciter de l’engagement et la volonté d’avancer ?

Dirigeants de l’UE et chefs d’états : clarifiez votre vision du Projet Européen. Où devrait-il mener et pourquoi ? En bref, vendez-le. Passez moins de temps à exposer des méthodes et plus de temps à expliquer où aller. La capacité à montrer aux gens une destination distante et à créer de l’engouement pour elle : voilà ce qu’est le leadership. Parler de méthodes et du « comment » relève du travail administratif. Nous découvrirons sans doute que de nombreux partis politiques visent en fait la même chose (ou au contraire qu’ils n’ont aucune vision claire et cherchent simplement à savoir ce que les électeurs veulent entendre pour le leur dire).
Citoyens de l’UE : la démocratie est une responsabilité, tout comme à chaque fois que vous avez le pouvoir de choisir. Informez-vous sur la vision derrière l’UE et les autres accords et également sur les accords eux-mêmes : voyez à la fois les côtés négatifs ET positifs. Vous avez le devoir de vous forger votre propre opinion basée sur des faits, au lieu de suivre l’avis de quelqu’un d’autre (que ce soit un leader d’opinion tel un parti politique, ou les médias) ou de choisir « ce que vous avez envie de choisir aujourd’hui » (pour exprimer votre mécontentement sur d’autres sujets par exemple).

Nous pouvons ensuite réunir ces deux groupes via des élections de partis. Pour faire simple, les citoyens choisissent une vision à travers le parti qu’ils élisent et les personnes élues, qui doivent être compétentes, choisissent les méthodes qu’elles croient adaptées pour atteindre la vision. Si besoin, elles devraient expliquer pourquoi ceci ou cela est adapté et nécessaire.

Pourquoi pas un référendum ?
C’est là un avis tout à fait personnel, mais les referendums représentent la démocratie dans sa forme la plus pure (c’est-à-dire que tout le monde peut donner son opinion et on suit la majorité), avec tout ce que cela implique de limitations, et notamment le fait que des gens qui n’ont ni les connaissances ni les compétences pour décider de quelque chose se retrouvent avec autant de pouvoir décisionnel que ceux qui ont ces compétences.

Prenons par exemple un responsable financier dans une entreprise et un programmeur : ils ont chacun leurs compétences et connaissances et des décisions qu’ils sont habilités à prendre ou non. Le programmeur doit faire confiance au responsable financier pour faire les bons investissements, qui lui-même doit laisser le programmeur créer un excellent logiciel. Si je n’ai pas les compétences, je laisse quelqu’un qui les a décider, mais je m’assure de comprendre ce qui est en jeu et que nous partageons la même vision.

En outre, ces dernières années ont vu les referendums refléter principalement un mécontentement général ou un sentiment de peur (souvent exacerbé par les médias), plutôt que des opinions mûrement réfléchies.

Cela dit, les représentants élus doivent faire leur travail : il est plus que temps d’abandonner la corruption et les intérêts personnels. Celui ou celle qui est élu(e) a une responsabilité envers ses électeurs et doit se montrer digne de cette confiance.

Est-ce qu’une telle méthode va forcément amener à une plus grande coopération en Europe ? Non, car on ne peut savoir ce que les gens vont décider. Mais ce qui importe c’est qu’une collaboration plus étroite ne peut être atteinte autrement : elle doit être le choix de la majorité des citoyens de l’UE car c’est le seul moyen d’obtenir le niveau d’engagement et le soutien nécessaires.

Conclusion sur les alternatives pour l’avenir

La tendance actuelle qui consiste à abandonner le Projet Européen dans ses différentes formes est une attitude destructrice où on laisse tout tomber parce que certains éléments précis ne marchent pas et beaucoup d’autres sont peu clairs. De mon point de vue, cela ne peut qu’amener à plus de difficultés (contrairement à une décision constructive d’abandonner certaines choses).

Toutefois puisque rester où nous sommes n’est de toute évidence pas une option, que reste-t-il ? Coopérer encore plus, « franchir le seuil » dans tous les domaines (judiciaire, militaire, financier…) : tant que nous resterons en-dessous de ce seuil, les choses ne marcheront pas. Cependant, franchir cette limite ne peut se faire qu’avec le soutien total des citoyens de l’UE, et nous n’en sommes malheureusement pas encore là.

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